Contribution aux États généraux de la psychanalyse, Paris,
La Sorbonne du 8 au 11 juillet 2000.
Alors, die Kunst… « Dire le mot à haute et mi-voix », en saisir les déclinaisons qui le poussent à l’artifice, voire à l’affectation.
Die schwarze Kunst[1] , la magie noire.
Das ist keine Kunst, ce n’est pas sorcier.
Mit seiner Kunst am Ende sein, être au bout de son latin.
Der Kunstdünger, das Kunsterzeugnis, die Kunstfaser, der Kunststoff, das Kunstharz, das Kunstleder, die Kunstseide, der Kunsthonig, das Kunstherz, tout est chimique, synthétique, artificiel ou simili. Eine Art von Kunst. Une sorte d’art.
Avec die Künstelei nous versons dans l’affectation, le maniérisme.
Ce qui est künstlerisch est artistique ; mais ce qui est künstlich est artificiel, voire postiche.
Art, s(tra)tégie, Kunst, Feldherrnkunst. Der Künstlername, c’est le nom de guerre, mais der Künstler, c’est l’artiste.
« Aucun terme n’était psychanalytique avant que Freud ne s’en servît. Ce qui importe, c’est comment il est entré dans son discours ». Alors, reprendre la lecture[2] de Freud avec, en tête, « en en-tête de lecture », ce mot : Kunst.
Dans ses premiers rapports professionnels avec la littérature, Freud ne lui demande que des illustrations et des confirmations pour ses hypothèses de clinicien. Survient un deuxième temps où il se tourne vers le processus créateur lui-même, dans l’espoir d’en saisir le secret. Face à l’œuvre, il se déclare incompétent pour définir l’essence de l’art, « forme belle au désir interdit ». Freud reste prudemment en marge du champ du beau.
« L’art est presque toujours inoffensif et bienfaisant ; il ne veut rien d’autre que l’illusion. À l’exception d’un petit nombre de personnes qui sont possédées par l’Art, celui-ci ne tente pas d’empiéter dans le domaine de la réalité »[3]. Aux yeux de Freud, l’Art est l’expression d’un désir qui renonce à chercher satisfaction dans l’univers des objets tangibles. C’est un désir détourné dans la région de la fiction et, en vertu d’une définition cette fois-ci très étriquée de la réalité, Freud n’attribue à l’art qu’une puissance d’illusion : l’art est la substitution d’un objet illusoire à un objet réel que l’artiste est incapable d’atteindre. Il semble que Freud n’ait jamais abandonné cette théorie de l’art considéré comme satisfaction compensatrice et presque comme pis-aller. Dans l’essai de 1909 La création littéraire et le rêve éveillé, il écrit : « L’écrivain fait comme un enfant qui joue, il crée un monde de fantaisie qu’il prend très au sérieux. » L’art est une activité ludique de type archaïque et narcissique.
Dans Totem et Tabou, l’art est rapproché de la magie, parce que tous deux s’en remettent à la toute-puissance de la pensée pour obtenir la satisfaction du désir. Mais c’est dans Introduction à la psychanalyse que nous trouvons les déclarations les plus nettes et les plus abruptes sur le caractère substitué du plaisir esthétique : « incapable d’affronter directement la réalité et d’y conquérir les avantages qu’il désire, l’artiste se réfugie dans un univers de fantasmes qui lui évite de recourir à l’action. ».
Freud dit aussi que l’œuvre d’art a souvent une fonction médiatrice entre l’artiste et ses contemporains, qu’elle est une relation indirecte avec autrui, qu’elle a son origine dans une expérience d’échec, et qu’elle se développe à l’écart du monde dans l’espace de l’imagination[4]…
Michèle Jung
Juillet 2000
[1] Freud : Eine Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci.
[2] Travail en cours.
[3] In : Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse.
[4] Tout ceci est le résumé d’un travail au long cours, à savoir une lecture exhaustive des textes de Freud – en allemand – afin de saisir, au plus près, l’emploi qu’il fait de Kunst.