Une-jouissance, en-corps
Une jouissance… Encore,
C’est ce qu’Elle entend… en oralisant ce titre !
Et Elle ouvre le Séminaire XX, chapitre I, intitulé « De la jouissance »… tiens, ça commence bien ! Enfin, ne rêvons pas, Lacan dit dès la page 10 : « La jouissance, c’est ce qui ne sert à rien ».
Si Freud n’a pas parlé de jouissance, aurait dit Lacan, c’est pour être compris par les lecteurs de son époque… Enfin, c’est ce qu’Elle a entendu dire, Elle n’en connaît pas la source.
Et Elles ? Qu’est-ce qu’Elles en disent, ces Elles qui se sont exprimées dans des textes qui ont constitué le débat des années 20 sur la féminité, des textes recueillis par Marie-Christine Hamon dans : Féminité. Mascarade. Ces Elles qui se nomment : Anna Freud, Hélène Deutsch, Joan Rivière, Josine Müller…
Ces derniers temps, en ces temps où on a médiatisé à outrance ce qu’il en était d’une jouissance masculine, j’ai aimé rapporter ce rêve d’une patiente de Joan Rivière justement, écrit en 1929, et intitulé : « La féminité en tant que mascarade ».
« Elle se trouvait seule à la maison, terrifiée ; un Noir entrait et la trouvait en train de faire la lessive, les manches retroussées et les bras nus. Elle lui résistait, mais avec l’intention secrète de le séduire sexuellement ; il commençait à l’admirer et à lui caresser les bras et la poitrine… »
La femme qui a fait ce rêve est une américaine qui réussissait remarquablement dans sa profession. Elle souffrait d’une angoisse qui se manifestait après chaque conférence donnée en public. La nuit qui succédait, elle était saisie d’un état d’excitation et d’appréhension, comme craignant d’avoir commis un impair ou une maladresse, et elle ressentait un besoin obsédant de se faire rassurer (par exemple provoquer, pour recevoir des compliments de la part d’un homme, alors qu’elle ne faisait que peu de cas de la valeur de son jugement).
Dans ce rêve, dit Joan Rivière, cette femme tente d’effacer les conséquences de ses actes (ses conférences réussies) en se « déguisant » en femme châtrée. (« Elle lave sa faute », dira encore Joan Rivière.) Le masque de la femme châtrée, c’est celui de la femme en train de faire la lessive, les manches retroussées et les bras nus, et cette femme châtrée incarne — la patiente le croit — la femme désirable. La mascarade consiste à cacher qu’elle a le phallus, et donc à tromper l’Autre.
Ce rêve — un homme Noir séduit par la position d’une femme servile — montre que ce que la patiente attend d’un homme, c’est d’être aimée pour ce qu’elle n’a pas. Le rêve vient confirmer un de ses fantasmes qui est : en cas d’attaque par un homme, il faut s’offrir à lui sexuellement pour pouvoir ensuite le livrer à la justice… Je cite :
«(…) lorsqu’elle vivait dans le Sud des États-Unis : si un noir venait à l’attaquer elle se défendrait en l’obligeant à l’embrasser et à faire l’amour pour pouvoir ensuite le livrer à la justice. »
Ainsi le sujet qui craint le père, dit Joan Rivière, veut se déguiser en femme châtrée, pour le séduire et l’éliminer. Sa jouissance est de garder secret ce qu’elle a, pour faire valoir ce qu’elle est. C’est ce que Lacan note comme étant « sa procédure sacrificielle, tout faire pour les autres, adoptant les formes les plus élevées du dévouement féminin, comme si elle disait : « Mais voyez, je ne l’ai pas, ce phallus, je suis femme, et pure femme ». Et ceci, le sujet l’adresse essentiellement aux hommes qui l’avaient admirée sous sa face de femme phallique, et c’est là sa jouissance.
Jacques Rabinovitch, le 6 novembre 2010, nous questionnait : La jouissance est-elle entre pulsion et fantasme ?
Michèle Jung, 28–06-2011