"Apnée" de Joëlle Louise Molina ©
Un colloque initié par « Le Point de Capiton ». Un colloque au cours duquel il m’a d’abord fallu sculpter l’espace avec les corps qui étaient là — dans cette immense salle de théâtre — puis inscrire une forme dans l’espace que j’allais occuper, et enfin m’installer — comme une petite cousette sous la verrière d’une maison de haute couture, pour faire « point de capiton ». Belle métaphore pour une discutante qui devait pointer le moment par lequel, en certains endroits privilégiés des interventions, le signifiant se nouait au signifié pour donner naissance à une signification, tout en faisant question ! Une ponctuation, en somme, comme dans la cure.
Faire « point de capiton » ! Retour à Jacques Lacan qui, pour l’illustrer, nous rappelle d’abord le célèbre schéma de Ferdinand de Saussure, où le flot parallèle du signifiant et du signifié, distincts, sont voués à un perpétuel glissement l’un sur l’autre.
D.R.
Avancer dans ce retour à Lacan (notamment dans Le Séminaire. Livre III sur « Les psychoses ») qui, le 6 juin 1956, forge l’image d’une technique de matelassier — celle dite du point de capiton — puisqu’il faut bien, pour que se produise un effet de sens, « qu’en quelque point, le tissu de l’un s’attache au tissu de l’autre ». C’est ce point, autour de quoi doit s’exercer toute analyse concrète du discours, qu’il appelle le point de capiton.
D.R.
J’eus besoin — à la place où j’étais — d’un instrument scripteur et d’un bloc-notes pour m’aider à fixer mon attention en permanence : point de rhétorique ! Au fil de cette écoute : désir d’aimer, de partager, de s’éblouir avec… En contrepartie, l’amer constat de la difficulté. Un mot et son contraire. Une image et son envers. Point de bourdon ! Tout entendre — comme l’analyste, « d’une oreille à l’autre » — d’une écriture qui ne parvient plus à saisir la réalité avec le regard simplificateur de l’habitude, d’une écriture corporelle dont l’esprit se trouve happé par des mots qui — au même titre que les sons qui les caractérisent — participent du mouvement. Je remarquai que cette fragmentation, démon de l’éphémère, révélait la cohérence d’une pensée et, seul ce qui était soi-même en train de se constituer chez moi pouvait rencontrer le corps du texte de l’autre.
Alors dans ce texte, les mots, à l’intersection du croisement de la pensée et du corps, furent moins enclins à trahir ce qu’ils avaient pour but ultime de dire, gérés par l’acte du scribe que j’étais, acte en mouvement dans cet espace chorégraphié par un autre, au un par un.
C’est environ au deuxième tiers du colloque qu’une intervention, pour moi, fit point de capiton. Je veux parler d’une intervention à deux voix, celle de Caroline Sagot-Duvauroux et celle de Danièle Ors-Hagen… En quoi ce point de capiton faisait-il point de fuite et non point de mire ? Par effets de miroir, ces deux artistes oralisaient leur propre texte. Il y avait un pliage dans les « anamorphoses » langagières de Caroline Sagot-Duvauroux, pliage qu’il fallait déplier pour choir dans le miroir courbe de la voix de Danièle Ors-Hagen… et vice-versa.
Et comme Alice au pays des merveilles, je traversai le miroir pour atteindre les représentations de ce monde merveilleux où les mots parlent, où des sons érudits envahissent l’espace, et où les signifiants s’agrafent et se graphient pour nous faire toucher à l’origine de l’écriture : l’écriture originelle, die ursprüngliche Schrift, d’abord oralité, d’abord acoustique, d’abord souffle enlevé par un battement, puis énergie travaillée en images jouant la partition de nos mythes, dans l’esthétique du chant diphonique remarquablement maîtrisé par Danièle Ors-Hagen.
Les effets acoustiques ont embué le miroir et je suis restée bouche bée — « fassungslos » —, témoin de ce qui était en acte, là où le sens faisant « point de capiton », il ne restait plus rien à dire.
Michèle Jung
Avignon 23 novembre 2011