Ein Traum, was sonst ?

« Ein Traum, was sonst ? », dit Kottwitz à Hombourg.

Une réalité, quoi d’autre… ?, ai-je parodié, en sortant de cette soirée théâtrale, le mardi 2 décembre dernier.

Il est des œuvres mythiques, nimbées de souvenirs, de fantômes d’acteurs et d’ombres de metteurs en scène, de polémiques… On ose à peine y toucher, tout juste rêver… C’est le cas du Prince de Hombourg, de Heinrich von Kleist, qui nous raconte un dilemme cornélien. Et, pour le prince de ce soir là (Gilles Chabrier), la salle du Théâtre Jean Vilar de Romans — tous sexes confondus, —avaient les yeux de Chimène. Kleist eut aimé. Il faut vous dire que la mise en scène était de Françoise Maimone.

Dans cette pièce écrite par Heinrich von Kleist en 1811, il n’y a pas le rêve et la réalité. Il n’y a même pas de rêve éveillé. Il y a deux réalités. Et, pour ceux qui se seraient mépris sur le sens du texte, rappelons que, dans cette pièce, nous sommes dans la Prusse de 1811. Nous sommes dans une situation historique sacrée pour les contemporains de Kleist, car c’est à la suite de cette victoire de Fehrbellin, gagnée sur les Suédois, que l’électorat de Brandebourg va devenir la Prusse. Hombourg est-il héroïque d’avoir désobéi ou finalement obéi ? Kleist fait-il une apologie de la raison d’état ou critique t-il l’écrasement de l’individu par le pouvoir ? Les deux. Et c’est ce qui donne force à ce texte. Françoise Maimone l’a utilisé sans souci d’une quelconque dimension politique, elle nous a rendu l’univers de Kleist familier, très loin des clichés. Kleist qui se proclamait lui-même « inexprimable », est effectivement irrécupérable — en « Aucun lieu » et « Nulle part », dirait Christa Wolf.

Françoise Maimone rend simplement hommage à cet héritier des lumières qui explora surtout leur crépuscule, et Gérard Maimone, lui, l’authentifie par ses « Éclats nocturnes ». Piano, violoncelle. Piano solo. La musique avait été, pour Kleist, un secours. Il a même écrit ces mots étranges, : « J’ai, depuis ma jeunesse la plus lointaine, lié aux sons les idées d’ensemble que me donnait l’acte d’écrire. Je pense que la basse continue implique les idées essentielles permettant de concevoir l’art d’écrire. »

La scénographie, de Brigitte Bosse-Platière, crée un lieu unique et intemporel qui structure l’espace dans lequel Kleist règle son « compte avec le monde ». Des lignes pures, sobres, sombres, densifiées par les lumières crépusculaires de Stephan Meynet. Dans la nuit bleu de Prusse, les costumes de Florence Demingeon distinguent chaque personnage. Le prince est un peu à l’étroit dans le sien, comme Kleist dans sa propre vie, tiraillé entre la Loi et le sentiment. Kleist pose en effet, avec plus de cent ans d’avance, la formule que Georges Bataille explicitera, à savoir que les mots disent difficilement ce qu’ils ont pour fin ultime de dire : le mot nie le but qui, sans cesse négativé, permet la relance de la machine pulsionnelle. Ce que Kleist voudrait, c’est un discours qui atteindrait sa cible, c’est un destin de la pulsion où son objet coïnciderait avec son but, c’est un effet de langage où le discours humain ne serait plus discours du manquement, mais discours de l’effectuation, de la réalisation. Ce qui le fait souffrir, fait aussi souffrir ses personnages : isolement, impossibilité de communiquer, impossibilité de saisir par le langage même la vérité de son être propre — vérité pourtant ressentie consciemment à certains moments. La mise en scène de Françoise Maimone a su créer un espace où ce langage, propre à Kleist, puisse être perçu et compris.

La traduction choisie était celle de Pierre Dehusses et Hélène Kuhn. C’est certainement dans ce français là que Kleist aurait pu écrire sa pièce, s’il l’avait écrite dans cette langue qu’il parlait très bien..

Se laisser conduire par les indices donnés, vaciller dans les absences, se laisser piéger, essuyer les orages … oui, j’ai aimé, sans voir le temps passer…

Michèle Jung

Avignon, 8 décembre 2008

Lire la version allemande

Winch only

« Winch only ». Théâtre musical. D’après « Le couronnement de Poppée » de Monteverdi. Conception et mise en scène Christoph Marthaler. CDN Dijon Bourgogne/Parvis Saint-Jean. Séance du samedi 2 décembre 2006.

Pour avoir vu « Groundings, eine Hoffnungsvariante » au Festival d’Avignon 2004, et rencontré Marthaler à cette occasion — c’était le 9 juillet — je m’étais promis de ne pas rater « Winch Only » à Dijon. Dijon ? Mais, c’est pas la porte à côté quand on habite Lunel ! Quand on aime, on ne compte pas… les kilomètres ! Non, ce n’est pas tout à fait ça… Chaque mois, je passe quelques jours dans cette ville auprès de maman qui s’est offert une éclipse cérébrale à 91 ans ! Alors, le soir, je me remets des Ophéliades en m’offrant « des nuits qui compensent nos jours » — je crois que cette expression est de Colette, la Bourguignonne, justement.

Et bien, cette soirée-là a été à la hauteur de mes attentes. Pour tout vous dire, « Winch only » est un spectacle joyeusement féroce sur les secrets de famille ! Avec beaucoup d’humour, il raconte les petites névroses de chacun : la mère qui picole ou pète en douce, l’hystérie vestimentaire des filles, l’intérêt inconsidéré de l’oncle pour les chansons de Mireille Mathieu, je passe… Une fri-an-dise ! Les voix, la partition, le pianiste Bendix Dethleffsen qui illustre avec maestria les désaccords majeurs de la famille… superbe ! Et quand elle se retrouve — la famille — autour de l’Incoronazione di Poppea, s’élève un somptueux choral. Et quand, seule, très seule, la mère emplit douloureusement l’espace scénique avec un lied du « Cid » de Massenet : « Pleurez, pleurez mes yeux ! », c’est l’apothéose ! Ein Lebkuchen ! Oh ! là, ça sent la friandise de Noël, mais Marthaler est né à Erlenbach !

Venons-en au titre : « Winch only ». La traduction proposée : « Réservé au treuillage » en a perdu toute la poésie, voire le sens ! Pour fréquenter un marin, je peux vous dire que si vraiment on veut traduire « winch » — qui se dit « winch », alors ouvrons l’imaginaire et proposons : « Réservé à l’embraque ». Embraquer, c’est le terme marin. À première vue, rien d’évident entre Poppée et l’aire réservée sur le pont d’un bateau appelée l’embraque. Utilisons-le pourtant car, dans sa mise en scène, Marthaler — considéré comme la figure de proue du théâtre musical européen — ne se prend pas les pieds dans… la psychanalyse, il use des « ficelles » (pardon au marin) du burlesque et du grotesque tendues au winch pour un numéro de voltige totalement maîtrisé. Vous sentez les embruns ?

C’était surtitré ? Ah ! Oui ! Mais bon, ça a été créé en flamand au KunstenfestivaldesArts à Bruxelles…

Ornella, le quatorze décembre deux mille six.

Oblomov

Brigitte Enguerand/Divergence

Théâtre du Parvis St Jean, CDN Bourgogne, Dijon, le 4 février 1995.

Je fais partie d’une génération qui a lu « Le droit à la paresse » de Paul Lafargue. C’est une référence littéraire qui vous revient quand vous entrez dans les « Journées de la vie d’Oblomov » d’Yvan Gontcharov, dont l’adaptation, dialoguée et considérablement abrégée par Dominique Pitoiset (le metteur en scène) et André Markowicz (le traducteur), a été préfacée par un de nos talentueux psychanalystes contemporains : Daniel Sibony.

Mais Oblomov n’est pas un paresseux. Ce qui le porte à rester inactif, c’est le degré de conscience avec lequel — lové dans une position fœtale sur son « divan » — il analyse la vie et, en cette fin de siècle. C’est à une analyse de notre système de croyances qu’il nous renvoie : changement des représentations, des comportements, des compétences, des valeurs, de l’identité ; changement de l’organisation sociale du temps, du travail et des loisirs. Nous découvrons alors un éloge du renoncement : qui n’a pas rêvé, comme Oblomov, de vivre retiré à la campagne, entouré de quelques amis choisis, alors qu’il vit comme Stolz, l’ami de toujours, constamment à la recherche de rentabilité maximum pour chaque instant vécu ?

Dominique Pitoiset est resté dans le mythe russe de l’oblomovisme — au plus près de la psychologie du personnage. Cette remarque est un reproche car, au-delà de la provocation du propos de Gontcharov, nous aurions pu entrevoir l’analogie entre un processus de changement des croyances d’une société et ce qui se passe pour un agonisant. À savoir : l’annonce de la mort, le déni, la dépression, la rébellion, la négociation et l’association sereine. Nous aurions pu l’entrevoir car c’était dans le texte : « – (…) Ce que tu me proposes, c’est la mort. – (…) Il faut nous y préparer Olga. »

L’adaptation audacieuse de Pitoiset et Markowicz (passer de la forme narrative au dialogue) nous embarque dans un spectacle de trois heures où alternent les répliques et les pans de récitatifs, trois heures malgré les coupures indispensables effectuées dans ce roman-fleuve. Et c’est effectivement cette impression qui domine : un roman-fleuve qui n’en finira pas…

Le spectacle évolue heureusement dans un très beau décor abstrait de Kattrin Michel, décor matérialisé par un immense parallélépipède blanc troué de quatre portes latérales, assez basses pour obliger les comédiens à se plier en deux pour entrer et sortir de ce trou. Ces comédiens incarnent des personnages très théâtraux qui empruntent tout autant à l’art de la marionnette qu’à celui de la bande dessinée, et sont peut-être l’incontournable raison de l’adhésion du spectateur.

Ornella, le 17 novembre 2006

Ici

C’est l’histoire d’un couple… Oh ! La ! La ! Ça commence mal ! Ben oui, justement ils sont divorcés, comme on dit. Séparés. Deux points de vue. Contradictoires ? C’est pourtant la même histoire ! Certes, mais avec un homme et une femme ! Voyez, c’est ça qui complique tout. Alors, pli sur pli, en avancée d’écriture, une auteure Pauline Sales et un auteur David Lescot— eux, complices — écrivent, face à face, en vis-à-vis ?, chacun sa version — pour chacune et chacun.

Bon. Alors interviennent un metteur en scène (Jean-Marc Bourg), une comédienne (Fabienne Bargelli) et un comédien (Jean-Yves Duparc). Tiens, là, ils sont trois. C’est bien, ça, la présence du tiers ! Le tiers indispensable pour qu’il y ait du jeu …

Plis sur pli, en avancée d’écriture, on enqu ête donc sur une rupture consommée il y a dix ans : « Je veux savoir ce qui s’est passé ici ». ICI… ? !

Alors on déplie : des faux plis, des replis. On suit un pli jusqu’à un autre pli — déjà replié. Là, les explications (implications ?) qui compliquen t tout. Ça fronce ! Pli de fronce entre voix ascendante (femme) et voix descendante (homme). Un pli de plus. Repli sur soi comme le papillon plié dans la chenille et qui se déplie en grands plis composés…  » Ici  » on vit dans les plis, dans des pans de pli s, dans des drapés… Une draperie. Autre amplitude ! Mais le pli se casse… crée une faille, ein Zwiefalt, un pli-de-deux, entre deux, entre eux deux ! Cette faille, cet « entrepli » va faire charnière — zône d’inséparabilité !

 » Emplie de moi Emplie de t oi. Emplie de voiles sans fin de vouloirs obscurs. Emplie de plis. Emplie de nuit. Emplie de plis indéfinis, des plis de ma vigie. Emplie de pluie. Emplie de bris, de débris, de monceaux de débris. Des cris aussi, surtout de cris. Emplie d’asphyxie…  » Hen ri Michaux.  » La vie dans les plis « . Poésie/Gallimard

Frisson… Froissement d’étoffe… C’est Elle qui parle. Peut-il en être autrement ?

Ornella, 22 octobre 2006 Après avoir vu  » Ici « , créé au  » Théâtre d’O », à Montpellier, en octobre 2006

Comment dit-on ROSE en français ?

Lorsque, dans la foulée de  » La cantatrice chauve « , le prince de l’absurde, Ionesco, en 1950, écrit  » La leçon « , il répond à une commande de son interprète Marcel Cuvellier : n’envisager que deux ou trois personnages et des éléments scénographiques très simples — des contraintes scéniques qui feront de  » La leçon « , dans une mise en scène d’Yves Gourmelon, à l’automne 1994, une véritable leçon de dramaturgie. Le timide professeur (Michel Pruner) — bégayant au début — va se métamorphoser en terrible tort ionnaire agressif et dominateur ; la jeune et dynamique élève (Corrine Ginisti) va perdre progressivement toute son assurance pour ne plus être qu’une proie douloureuse et résignée :  » Comment dit-on rose en français ?  » La question, posée par le maître à l’élève, fait frémir les pendrillons du théâtre, tant elle est criée. Car le maître a perdu patience, et la bonne (Ghislaine Gil) fera le ménage après cette leçon théâtralement terrifiante.

Peu d’auteurs dramatiques ont été aussi vilipendés qu’Eugène I onesco à ses débuts. D’échec en échec, Ionesco est parvenu à la gloire. À la vraie gloire — non pas celle des honneurs, des palmes et des fauteuils académiques — mais celle que le public du monde entier lui confère. Pendant quarante ans, il a pris la défe nse de l’homme contre toutes les iniquités, contre toutes les agressions et, en premier lieu, contre celle, scandaleuse et révoltante de la mort, contre la dépersonnalisation des individus, contre la bêtise et la folie meurtrière qu’engendre l’ambition du pouvoir. Les Amis du Théâtre populaire de Lunel (ATP) ont été heureux d’entrer en théâtre avec ce spectacle.

Treize saisons plus tard — cette année, donc — ils vous invitent à aller découvrir leur programme en ligne : http://www.agenda-culturel.com/atp-de-lunel.html

Michèle Jung, de Lunel, le dimanche 15 octobre 2006

Nadj

Le  » Voïvode  » & le danseur…

Artiste associé du Festival In 2006 oblige, c’est pour Joseph Nadj, né en Voïvodine que j’écrirai cette Vidourlade. Pour l’homme — un  » êtrumain  » qui aime les gens, pour l’artiste — qui n’est pas seulement chorégraphe, pour le directeur du centre chorégraphique d’Orléans — qu’il est aussi.

Nous l’avions rencontré pour la première fois, en Avignon, l’an dernier, en 2005. Il présentait  » Lost Landscape « — , spectacle inspiré d’un paysage qui existe vraiment, à quelques kilomètres de Kanizsa, l’endroit où il est né, au centre de l’Europe cenrale.

Cette année, il était dans la Cour d’Honneur avec  » Asobu « , spectacle inspiré par Henri Michaux… Ce terme  » Asobu  » ouvre une  » japonaiserie  » d’un jeu le plus pur, à partir d’un jeu, premier, le jeu de l’acteur. Où tout est mis en jeu…

Les enjeux ? Jouer avec l’espace, les frontières, les cultures, les genres — le théâtre, la danse, la poésie, la musique. Rendre visible le fruit des compagnonnages, notamment des rencontres faites lors d’une série d’ateliers menés au Japon. Et voilà pourquoi il y avait — avec les artistes de la Compagnie Batik — six danseurs japonais sur le plateau de la Cour (quatre danseurs de butô et deux danseuses contemporaines) et quatre musiciens.

Un spectacle de l’intime dans ce grand espace qu’est la Cour d’Honneur. Un univers scénique singulier.

Ornella, le 30 juillet 2006

Le roi lune

Le roi lune,

 » Le roi lune  » risque bien (si la Compagnie le veut) de venir se montrer aux Pêcheurs de Lune (dits : Pescalunes) l’an prochain… Ce texte de Thierry Debroux, mis en scène par Frédéric Dussenne pour le Théâtre du Méridien (Bruxelles), était joué au Théâtre des Doms, en Avignon Off. Cet  » Off  » là, aurait bien pu basculer dans le  » In  » ! Si ! Si ! Sissi ?

Sissi — Elisabeth d’Autriche — était en effet une cousine, amie de Louis II de Bavière (dont il est question ici), surnommé  » le roi fou « . Là, il vient d’apprendre la mort de Richard Wagner dont il a été l’amant. Fou de douleur, il organise un étrange souper dans un de ses somptueux châteaux… celui de Neuschwanstein.

Julien Roy (Louis II) et Benoît Van Dorsler (le Ministre) emmènent ce spectacle loin, très loin des images d’Epinal véhiculées sur ce roi. La scénographie de Marcos Vinals Bassols nous fait pénétrer (sans réalisme, rassurez-vous) dans un de ces châteaux que le monde entier visite aujourd’hui.

Wagner est la cause de tout, dit Louis — et ce n’est pas un regret qu’il exprime.  » J’avais à peine seize ans lorsqu’à l’Opéra, son  » Lohengrin  » me fit comprendre ce que j’étais ou plutôt, me fit savoir que je ne serais jamais comme les autres (…).  » Cet être pur, perfectionniste, excentrique certes, torturé et complexe, homosexuel, suivra tout au long de sa vie une logique sans faille : le goût de la beauté… Il sera interné comme  » fou  » par ses ministres, puis, dès le lendemain, noyé dans soixante centimètres d’eau. Avec cette mort mystérieuse commence le mythe qui inspira Visconti, Verlaine, Apollinaire…

Vous n’avez pas vu ce spectacle… Quand on ne va pas au Théâtre des Doms pendant le Festival d’Avignon, on rate forcément quelque chose. Si ! Si ! Alors, lisez le… C’est publié chez Lansman.

Ornella, le 28 juillet 2006, jour de mon retour d’Avignon.

Juger Molière…

Jean-Claude, Vladi, Ich...

Avignonade…

Au cas où vous auriez fait la grasse matinée le lundi 17 mai 1993, ou que le bruit de la douche vous ait empêché d’entendre cette histoire sublime racontée par Jean Lebrun dans « Les matins » de France-Culture , je me fais le plaisir de vous la re-transcrire — pour inscrire… mon premier jour de Festival 2006.

Jean-Pierre Soissons, naguère ministre de l’agriculture, alors qu’il voulait éclairer les Français sur les accords du GATT, leur tint ce discours : « Je vais prendre un exemple simple : on ne va pas juger Molière sur « Le Cid », et sur « le Cid » seulement !… »

Jean-Pierre Soissons a raison. Il est très rare que l’on juge Molière sur « Le Cid », il arrive encore — dans certaines écoles, dans certains manuels — que l’on juge Corneille sur « Le Cid ». Mais Molière ! Qui en aurait l’idée ?

Il nous arrive pourtant — lors de nos propres jugements à l’emporte-pièce (!) — sur nos lieux professionnels entre autres, au Festival d’Avignon aussi, de juger Molière sur « Le Cid » et sur « Le Cid » seulement !

À Jean-Claude Loubière,

Michèle Jung, le 7 juillet 2006

Heinrich Böll

« Dans la nuit ». D’après Böll. Mise en scène J.P. Chrétien-Goni. Par le Théâtre Clair . Au théâtre Arcane.

Très cher Nabil,

Je regrette beaucoup que nous n’ayons pas pu nous rencontrer (…) J’ai beaucoup, beaucoup aimé cette interprétation de Böll. Je souhaitais voir cette pièce car, cet été, j’ai suivi un cours à l’université de Bamberg, pendant un mois, sur le thème : « De Heinrich Böll à Botho Strauß ». J’ai donc beaucoup travaillé et réfléchi sur cet auteur. Pour moi, la littérature de l’Allemagne d’après guerre recommence avec lui, une littérature qui remonte des décombres et qu’on peut qualifier de « réaliste », de cette « réalité qui ressemble à une lettre qui nous a été adressée mais que nous mettons de côté sans l’ouvrir parce que nous sommes tracassés par l’idée que le contenu pourrait en être déplaisant » (H. Böll). Là, dans ce spectacle, pour rester dans la métaphore, le metteur en scène nous ouvre la lettre et tente, par le biais du théâtre, de nous aider à prendre en charge ce qu’elle contient, à nous donnant des clés ouvrant à des réalités, à fournir à notre imagination les moyens de construire l’image. C’est très réussi car ça n’a rien à voir avec les chimères, avec les fantômes.

Vraiment, je regrette de n’avoir pas pu parler de ce travail avec toi, avec eux, c’est à dire la compagnie, si tu penses que c’est important transmet leur ma sympathie…

Michèle Jung, le 20 novembre 1990

Les Barbares

Les Barbares Alexeï Maximovitch Pechkov, dit Maxime Gorki Mise en scène, Éric Lacascade Traduction, André Markowic CDN Normandie-Comédie de Caen

Je n’avais pas lu le texte… Je n’ai pas raté un mot de l’histoire, cette histoire de vies qui tournent à vide la plupart du temps. La vie… à laquelle chacun des protagonistes s’acharne à trouver une définition, sinon un sens, histoire de la rêver ou de s’en arranger. La vie… à laquelle ils cherchent vainement une issue, en désirant que quelque chose change, mais sans savoir quoi ni comment. Et, lentement, tout se détruit… La vie…

N’allez pas croire que c’est triste, on rit beaucoup à ce spectacle. « Nous ne sommes plus dans le regret du monde ancien que développent les héros tchékhoviens mais de plain-pied dans le nouveau monde, celui des barbares… dans cette Russie pré-révolutionnaire de 1905», dit le texte du programme.

Le monde des « barbares »… Le barbare… Der Unmensch…La barbarie… Le problème de fond est de déterminer si la barbarie est un fait de nature ou un fait de culture (Bildung). La question est finalement politique (cf Vocabulaire européen des ohilosophies, page 1306) : barbares sont ceux qui supportent, voire qui appellent le despotisme. Comme l’esclave dans la maison du maître, le barbare est de facto gouverné despotiquement, il a besoin d’un maître, c’est ce que nous enseigne Aristote.

Alors, dans cette pièce, qui sont les barbares ? Les habitants de cette petite ville de province oubliée de l’Empire russe, ou les deux ingénieurs qui débarquent, pour y construire un chemin de fer ?

Ne répondez pas trop vite. Allez voir cette pièce. Nous en reparlerons…

(Elle se joue dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, en Avignon, du 17 au 25 juillet prochain).

Michèle Jung 28 juin 2006