Early Morning

Early Morning d’Edward Bond Par la Compagnie « La Paloma » Mise en œuvre : Thomas Fourneau

Episode one, les 1er et 2 avril 2008, à Marseille. Chantier ouvert au public. L’intégrale sera donnée en mai 2009, au Théâtre de la Minoterie.

Lorsque la pièce fut créée à Londres, en 1965, ce fut un beau scandale. Les Britanniques admettent les turpitudes de leurs anciens rois quand c’est Shakespeare qui en parle, mais qu’Edward Bond — célèbre en Angleterre surtout par les scandales qu’il a provoqués — insulte la mémoire de l’Impératrice des Indes dont la statue trône devant Buckingham Palace ! Schoking ! Et… censure ! Si, si, décret royal. Comment admettre, au royaume de Sa Majesté, qu’une famille ultra-bourgeoise puisse tramer d’horribles complots pour assassiner un ou plusieurs membres de la famille royale, pendant que la « Veuve de Windsor » se livre aux délices de Gomorrhe avec Florence Nightingale, qu’elle débauche et déguise en cocher écossais à moustache en la suppliant de l’appeler Victor… On-ne-rit-pas ! Et pourtant…

À « Montevideo », en ce premier avril 2008, nous fûmes donc les spectateurs premiers de ce spectacle en chantier. On nous introduisit dans la salle de spectacle où le Théâtre des Bernardines fait escale pendant travaux. Plateau nu — comme le souhaitait Bond — afin que l’essentiel se passe dans le jeu des comédiens. Si « découvreurs » nous étions, la Compagnie « La Paloma » peut être satisfaite. La salle — comble — n’a pas décroché pendant cette heure quarante cinq, et elle a ri de ces effroyables plaisanteries macabres, assaisonnées de sauce métaphysique et d’infinis. Elle a ri de cette fantaisie baroque remarquablement orchestrée, chorégraphiée et jouée. Jouée comme l’ouverture d’un opéra ? Qui opéra ! Adhésion du public. Totale. Il n’y avait pas eu la même unanimité, lors de sa création en France. Souvenez-vous : Avignon 70, Georges Wilson, Maria Casarès, José-Maria Flotats dans le rôle du Prince Arthur… J’en ai personnellement un souvenir très précis, d’autant que c’était ma première entrée dans La Cour.

Michèle Jung

Avignon, avril 2008

Jagdszenen

« Ce soir, par permission spéciale, Penthesilea, pièce canine. Personnages : des héros, des roquets, des femmes. Aux tendres cœurs affectueusement dédié ! Aidée de sa meute, elle déchire celui qu’elle aime, et le dévore, poil et peau, jusqu’au bout. »

(Épigramme de Kleist, présentant Penthesilea, dans Le Phöbus, avril 1808).

Ce soir ? C’était le vendredi 27 mars dernier. Création mondiale de l’opéra de René Koering. Et c’était : « Scènes de chasse ». Elles n’étaient pas en Bavière…, mais au Corum — à Montpellier. Et l’épigramme de Kleist, cité plus haut, est là pour nous indiquer que ce qui était en jeu « Ce soir », étaient les amourres d’Achille et Penthésilée. Achille~et… Penthésilée. Une paronomase.

« Ce soir » ? C’est de la musique, composée par René Koering, dont j’ai envie de parler. Parler de la musique… !? Dire d’abord… qu’elle s’inspire directement de la réalité théâtrale de la langue Kleist — une langue extrêmement musicale qui porte la violence en elle-même, une violence rythmique. C’est cette violence qui s’exprime dans de la musique extrêmement complexe sur le plan harmonique, dans des phrases qui se croisent constamment : Penthésilée et Achille sont dédoublés, clivés — un acteur et un chanteur pour deux langues, le français et l’allemand. C’est cette violence qui s’exprime dans des phrases créant parfois l’impression d’un vide, d’un abîme prodigieux semblable à celui qui se trouve dans la tête de l’amazone au moment où elle commet l’acte le plus horrible. Car, « Ce soir », le suicide irreprésentable de Penthésilée va être traduit dramatiquement et pas tragiquement… vertical et horizontal. Une ligne horizontale pour le temps qui passe. Une ligne verticale pour ce qui se passe en même temps. C’est simple, non ? C’est simple, comme l’est la grande musique.

Dire ensuite… la quinte, vide total musical. Nous ne sommes pas dans la lexique du poker ! Mais dans la diapente. L’enharmonie n’est alors plus possible… Do #. Ré b. Alors, quels rapports entre les intervalles ? Quels rapports entre Achille et Penthésilée ? Pour les révéler, René Koering environne Penthésilée des sonances de la quinte. Malaise. Rugosité dans la superposition des sons. Dissonance autour de laquelle s’agglutinent confusément des perceptions de nature très variées. Discordance… Sublime, forcément sublime. Tout ceci est remarquablement orchestré par Georges Lavaudant sur le plan scénographique, et Alain Altinoglu sur le plan musical.

Dire enfin… avec Heinrich von Kleist : « Le chérubin est derrière nous… ». Le chérubin… L’ange… J’ai peut-être vu le bout de son nez sur la scène du Corum ce vendredi là… J’ai cru voir une aile séraphique posée sur l’épaule de Dörte Lyssewski, c’était au tiers de l’heure, elle traversait le plateau, se dirigeait vers Achille, sans hostilité, le cœur à fleur de peau, sans affectation. Elle était là, juste, au plus près de lui — l’aimé — au plus près d’elle même, dans une béance entre le désir et la jouissance. Un moment… rare.

Michèle Jung, Avignon, le onze mars 2008

Avignonade 2

École d’Art. Foyer des spectateurs et des artistes. Le 25 juillet à 11h30. Avec Jean-François Sivadier et les membres de l’équipe artistique du Roi Lear. Animé par Les Ceméa.

Nous sommes dans la Cour intérieure de l’école d’Art. Trois espaces. Celui des « studieux », sages sur les bancs. Celui des « vacanciers », décontractés, ils ont quitté le bar avec leur verre et leur journal du jour, et se sont installés aux tables rondes, au fond. Celui de la tribune : petites tables carrées et chaises en bois naturel, coussins multicolores, pot à eau et verres à bulles colorées, micros… on sent la qualité de l’accueil Ceméa. D’ailleurs, Jacques Manceau se promène dans les travées, souriant, l’œil prêt à entendre la place qui pourrait manquer à chacun.

Car ici, ce matin, on s’installe, on se serre : il y a foule lorsque Jean-François Sivadier arrive avec trois comparses. Foule. Alors… ce public. Retraité ! Jeunes et vieux, mais… retraités ! Un spectateur, d’ailleurs, le fera remarquer : on est vieux dans cette assemblée, pourrait-on entendre un jeune s’exprimer ? Un jeune homme prendra le micro, avec beaucoup d’hésitation, de réflexion, puis d’émotion, « Je vous aime », dira-t-il en direction des artistes. Nous l’applaudirons. Un autre (moins « jeune ») dira : « Je n’ai pas aimé tout de suite, mais ce matin, en y repensant, j’ai pleuré devant mon café ».

Il y aura beaucoup, beaucoup de questions. Tout d’abord, les spectateurs ont, pour la plupart, vu et aimé le spectacle, et ils le disent tous en préambule. Puis, ils veulent peaufiner leur compréhension des codes : – Pourquoi, ce décor dépouillé dans la seconde partie ? – L’âge du comédien qui interprète « Le Roi Lear »… – Pourquoi cette tempête tirée vers le dérisoire ? – Pourquoi n’en avez-vous pas fait une tragédie ? » – Votre intention de faire jouer des rôles inversés (Kent joué par une femme…) – Le choix de cette traduction ? – Quels sont vos « modèles », même si vous les transgressez ? – Vous avez dit sur France-Info que c’était un opéra anthropologique…

On ne questionnera pas la psychanalyse… Les questions traversaient pourtant les champs du politique, du désir, de la folie, de la paternité avec la même force que ce qui a interpellé Freud et qu’il a traité dans « L’inquiétante étrangeté » en 1913. C’est ce qui a permis — nous le pensons — à Jean-François Sivadier de représenter l’irreprésentable, de nous donner un spectacle à la hauteur de la démesure de cette histoire, de nous permettre d’entendre le final de Lear comme nous ne l’avions encore jamais entendu.

Michèle Jung, Avignon, le 25 juillet 2007

Première Avignonade

Ce que je verrai dans le « In » cette année… Feuilleton. Ou… feuilletons (le programme), comme vous voulez.

Après mon coup d’envoi du 11 mai dernier sur le site d’Œdipe (http://www.oedipe.org/fr/spectacle/theatre/AVIGNON2007), je vais, au fil de ces « Avignonades », dire ce qui a guidé mes choix dans les spectacles que je verrai cette année. Je le ferai au fil des pages du programme (au fil de celui sorti sur papier, et que les avignonnais ont en main depuis une semaine). Ce qui signifie que je n’en parlerai pas par ordre de préférence. Et pourtant !

J’irai d’abord dans « LA Cour ». Je me refuse d’entrer dans le Festival autrement que par La Cour d’Honneur ! — et ce, depuis 1967. Cette année, ce sera avec « L’acte inconnu » de Valère Novarina. « L’acte inconnu » m’est inconnu. C’est une création 2007. Mais, Valère Novarina… En 1986, j’ai vu son « Drame de la vie », un spectacle avec 2587 personnages, oui : deux mille cinq cent quatre vingt sept ! Il revient en 1987 (tiens, quatre vingt sept !) avec « Le discours aux animaux », puis en 1989 avec « Vous qui habitez le temps », puis en…, puis en… Qu’est-ce qu’il fait entre-temps ? Et bien il peint, il dessine… Vous pourrez d’ailleurs profiter de votre séjour en Avignon pour visiter les expositions qui lui sont consacrées cet été : une à « La Chapelle du Miracle » — un bijou du XIIe siècle situé rue Velouterie (« Velouterie », un mot qu’aurait pu inventer Novarina, car on dit de lui qu’il réinvente le langage), l’autre à l’École d’Art. Mais pour se rapprocher de lui, l’approcher encore, il faudra traverser le pont Daladier, celui qui passe au dessus de l’île de la Barthelasse et au dessus de l’île Piot (c’est sur cette dernière — soit dit en passant — qu’on gare sa voiture quand on vient en Avignon) et aller jusqu’à la Cave du Pape de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon. Là, « Ajour ». Une autre création 2007, du même Valère, mise en scène par Christine Dormoy. J’entends votre question : Christine Dormoy ? Christine Dormoy est une comédienne de formation, qui, un jour, a fait une très belle rencontre : Jean-Louis Hourdin. Vous verrez son travail.

En ce qui me concerne, je vous retrouve demain, ou son lendemain, pour vous parler d’un autre de mes choix.

Michèle Jung Avignon, le 17 mai 2007

P.S. Décodage. Sur le programme, vous verrez des carrés bleus, verts, rouges, jaunes, noirs accolés aux titres. Ils disent si c’est du théâtre, de la musique, de la danse, de la vidéo, des arts plastiques ou cela tout à la fois, ou ça et ça à la fois.

Ces deux spectacles ont un carré bleu et un carré vert. Donc… ?