Après coup… des trous, des bords, des pleins…
Ce que j’ai tenté d’analyser — lors de ma lecture de Le tour d’écrou d’Henry James — c’est comment j’y suis entrée et comment il m’est arrivé de m’y perdre, pour mieux m’y retrouver au long de nos soirées de réflexion. Celles-ci m’indiquant quels signifiants circulaient — pour ce que j’entendais — dans les entrelacs, lors des interventions de chaque « Un ». Wenn ein Psychoanalytiker öffentlich spricht, wer spricht… ? Question posée…
Au fil de ce travail, de ma lecture aussi, je me suis particulièrement arrêtée sur des il(s), des ça, des moi… J’y entendais le « es » allemand. Ce « es » — qui n’est ni « il » ni « on », mais des ça, ou des cela.
Je citerai seulement ceux rencontrés en page 101, au chapitre 14, là où les choses se précipitent (j’entends bien ce mot !) :
J’ai déjà oublié pourquoi tu l’avais fait. Ich habe schon vergessen, warum du es gemacht hattest.
C’était juste pour vous montrer que je pouvais le faire. Das war nur, um Ihnen zu zeigen, daß ich es machen konnte.
Et je pourrais le faire de nouveau. Und ich könnte es wieder machen.
Certainement. Mais tu ne le feras pas. Sicherlich. Aber du wirst es nicht machen.
Non, pas de nouveau ça. Ce n’était rien. Nein, nicht wieder das. Das war nichts.
Ce n’était rien, répétais-je. Das war nichts…
Ce « es » — je l’ai mis au travail pour retrouver les signifiants et le sujet de ce qui fait sculpture analytique de ce texte. En voici quelques trace. Ce ne sont que des traces :
Dans son Séminaire Logique du fantasme (1966-1967), Lacan dit que « le Ça est une pensée mordue de quelque chose qui est, non pas le retour de l’être, mais d’un d-és-être . De même, l’inexistence au niveau de l’inconscient est quelque chose qui est mordu d’un je pense qui n’est pas « je » : « Es denkt in mir » , dit-on en allemand. Et ce « il pense » — qui n’est pas « il » — je peux le rapprocher d’un « Ça », et je le relève comme un « Ça pense».
Pour Freud, les expériences du moi, si elles se succèdent de génération en génération, se transposent en expériences du « ça », qui hébergent les restes innombrables du « moi »… … « moi », « ça », Das Ich und das Es, Freud, 1923.
Le modèle de l’inconscient c’est donc un « Ça pense » — certes, mais à condition que l’on s’aperçoive qu’il ne s’agit de nul être, sinon c’est un court-circuit et une erreur, quelque chose qui ne donne pas assez de relief au « Ça » dont il s’agit.
Citons encore Lacan : « (…) le « Ça » dont il s’agit n’est assurément bien sûr d’aucune façon la première personne…, le « Ça » n’est ni la première, ni la seconde personne, ni la troisième. La troisième serait celle dont on parle. (…) Le « Ça » dont il s’agit est ce qui, dans le discours, en tant que structure logique, est tout ce qui n’est pas je ». Façon de dire qu’au « Cogito ergo sum », il substitue un « Cogito, ergo es ».
J’ai mis aussi ce « es » au travail avec ses homophonies : Es (sujet neutre) — « traces mnémiques » jadis perceptions, charges psychiques, reviviscences, restes visuels, ou, « Gedächtnis — im psychoanalytischen Sinn des Wortes — bedeutet eine versteckte Arbeit von Speicherung und Entstellung der Spuren vergangener Ereignisse » . S barré (sujet barré), S du signifiant, S : fricative dentale sourde… Es (E-S) — mi bémol et… si le bémol abaisse le son de la note d’un demi-ton, c’est le mi de mi-dire qui, dans l’univers du discours, désigne ce qui est à moitié dit ou… à moitié tu (un tu qui n’est pas « tu »). Nous l’appellerons une suspension — pour ne pas dire une cassure — entre dit et mi, un contretemps qui prend son sens tant du côté de l’inconscient que du côté du Ça — forme syncopée de « cela » à l’ouïe du violon.
Le 17 janvier 1962, Lacan avance que « dans l’acte de parole, le sujet se constitue comme un étant ayant été : « ein Gewesen » qu’il rapproche de l’adage freudien :
« Wo Es war, soll Ich werden »
Allez savoir pourquoi, me voici à re-lire les 4 discours de Lacan — en allemand ! Pourquoi ? Je pense… enfin… « es denkt in mir » que les quatre discours montrent toutes les constellations des rapports fondamentaux qui peuvent exister quand le sujet parle à un autre. Der Herrensignifikant, S1 Die Signifikantenkette, das Wissen, S2 Das gespaltene Subjekt, das Subjekt (des Unbewußten), S barré « a » : die Mehrlust
Die Lancanschen vier Diskurse ergeben sich durch Rotation der Terme über die vier feststehenden Plätze : jeveils ein Vierteldrehung ergibt einen anderen Diskurs.
Si on s’y amusait… les dés sont jetés…
Avignon, le 15 juin 2009 Michèle Jung