Cher Olivier,
En rentrant de La Chartreuse, j’avais lu votre texte, mais je n’étais pas assez disponible pour écrire. Je le fais aujourd’hui, premier jour d’une « vacance » qui me ravit. Le voïvode & le chanteur… Et bien… allons-y ! Je me mets à la table du festin — als Kalligraph — pour tenter de dire, de donner — moi aussi — quelque chose, chose de ce « quelque » qui n’est pas rien, même si mon ignorance de ce que je vais écrire est grande, quasi nécessaire, voire salutaire. L’exercice est périlleux quand on voudrait sortir de « J’ai aimé », « Je n’ai pas aimé », « C’est très intéressant », voire « C’est somptueux », ou encore « Votre écriture, cher Olivier, m’interroge » ! Expressions qui vous (l’auteur) laisse Gros-Jean comme devant. Alors, je vous parlerai — sans le qualifier — de mon rapport à ce texte.
Votre reformulation du mythe — que vous faites apparaître dans sa dimension voïvoïdale — est posée simplement : un matériau brut, sobre, disponible qui fait ressortir l’aspect sacré, rituel de cette tragédie habilement déguisée en drame profane et tristement humain. Elle donne à entendre au lecteur — agacé ou fasciné… c’est selon — ces phrases imprécatoires écrites dans une langue moderne avec des mots souvent violents, grossiers, crus. Martelés, ces mots rythment les stations que traverse cet empaleur lubrique, lorsqu’il pressent « l’aubel’horreurfrissonnante ». Surtout, ne pas chercher à comprendre, se laisser guider — puis séduire — par les indices donnés, vaciller dans les absences — voire les trous noirs — se laisser piéger, essuyer les injures.
Perversité des personnages / Perversion de la structure du texte, plié, déplié, replié, redéplié et exploré dans ses fissures — blessures verticales — qui accrochent des pans de lumière, de cette lumière propre à nous éclairer nous-même sur les « appétitions » qui nous guident. Je ne suis pas gênée par votre procédé d’écriture qui consiste à accoler des séries de mots, je le suis par contre par le fait qu’il y a des exceptions : autre perversion ?
On sait que les effets de théâtre sont possibles, en partie, grâce à la présence de processus qui s’apparentent à ceux de la dénégation (Verneinung) : il faut que ce ne soit pas vrai, que nous sachions que ce n’est pas vrai, afin que les images de l’inconscient soient vraiment libres. Le théâtre alors, joue un rôle proprement symbolique. Quand la toile se lève, les puissances imaginaires du Moi sont à la fois libérées et organisées — dominées — par le spectacle. En espérant que les lectures qui seront faites de votre texte par les professionnels de la mise en scène feront que le rideau se lèvera bientôt sur la représentation de : Le voïvode & le chanteur.
Un auteur roumain, Victor Scoradet, dit : « Le public ne va pas au théâtre pour oublier le monde où il vit, mais pour le comprendre ». Et voilà pourquoi votre fille est muette !
Lunel, le 8 mai 2002 Michèle Jung