Feux

« Feux », Trois pièces courtes d’August Stramm.

Malgré les remarquables traductions de ses pièces qu’ont faites récemment Huguette et René Radrizzani, nous connaissons peu August Stramm. Cet Allemand d’Alsace, au temps où l’Alsace n’était pas française, meurt à quarante et un ans, en 1915 : soldat de l’armée germanique, il est tué sur le front russe, dans les marécages de Rokitno. Son oeuvre est étrange, révoltée, obsédée par un érotisme frénétique qui met à mal les conventions sociales, et qui le range parmi les expressionnistes. Les metteurs en scène Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, qui travaillent en duo, ont su faire un ensemble à la fois divers et uni, à partir de trois petites pièces réunies sous le titre de « Feux ». C’est une production de la Maison de la Culture d’Amiens. Rendons à César…

Au moment où August Stramm meurt, Freud écrit « Zeitgemäßes über Krieg und Tod » (Considérations actuelles sur la guerre et. la mort). Et, personnellement, c’est là que je veux situer Sramm : au cœur de la psychanalyse. Les trois pièces : « Rudimentaire » (1912), « La fiancée des landes » (1913) et « Forces » (1915) que nous voyons ce soir du mercredi 7 juillet, au Festival d’Avignon, traitent des rapports amoureux, sans complaisance et sans jugement moral, à la manière d’un psychanalyste — sans divan (Quoique. Il y a un lit ou un canapé, dans chacune des scénographies). On se croirait à la Salpêtrière dans le laboratoire de Charcot : les pulsions, la sexualité, le désir, l’impuissance, les mouvements inconscients qui animent les femmes et les hommes de ces pièces dans leurs rapports intimes, dans leur rapport au pouvoir donc, sont étranges. Étrange, au sens de « unheimlich ». L’inquiétante étrangeté. « Das Unheimliche ». Leurs rapports intimes et charnels à ce qui ne peut pas se dire, à ce qui ne peut pas se montrer, sont disséqués au scalpel, examinés comme sous une loupe, dans un dispositif scénique alliant transparence et lumière. Pour traduire la violence des forces qui traversent les protagonistes, Stramm invente un style rigoureux, fondé sur une radicale économie des mots (comme dans un protocole), sur un jeu — aussi — car le moindre geste des acteurs est inscrit dans les didascalies (« Cri, rire, épuisement, absence, incompréhention », est-il précisé, dans « Forces », pour exemple).

Dans la première comédie, un couple assez mal assorti se réveille, persuadé d’avoir échappé à la mort par asphyxie, puisque l’un d’eux avait ouvert le gaz la veille. Ils peuvent recommencer le coït et les querelles, inattentifs à la mort du bébé qui s’est produite pendant la nuit. Dans la seconde pièce — aussi silencieuse que la précédente était criarde — une femme, cernée par son entourage et sa famille, voit sa solitude brisée et réagit par le meurtre. Dans la troisième pièce, l’érotisme est campé en milieu bourgeois. C’est une danse de pouvoir, d’amour et de mort qu’interprète une jeune femme mariée, se moquant de son mari et entraînant dans ses pas l’ami de sa rivale…

Ce fragment d’un poème de Stramm, poème intitulé « Lutte amoureuse », illustre pour moi, ce que j’ai ressenti…

Das Wollen steht Du fliehst und fliehst Nicht halten Suchen nicht Ich Will Dich Nicht! Das Wollen steht Und reißt die Wände nieder Das Wollen steht Und ebbt die Ströme ab Das Wollen steht Und schrumpft die Meilen in sich Das Wollen steht Und keucht und keucht Und keucht Vor dir! Vor dir Und hassen Vor dir Und wehren Vor dir Und beugen sich Und Sinken Treten Streicheln Fluchen Segnen (…) »

Ornella, Avignon, le 23 août 2008

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